Contraint de suspendre de façon provisoire la logique taylorienne, Ford se vit obliger de doubler le salaire de ses travailleurs pour pouvoir faire fonctionner la chaîne. Comme l'écrit H. Braverman, cela "permit l'intensification du travail dans les usines, où les travailleurs étaient maintenant désireux de rester[1]". Et ces travailleurs préoccupés devenaient plus productifs. De fait, Ford lui-même reconnut ultérieurement que cette augmentation de salaire fut "une des décisions qui diminuèrent le plus les coûts de production" : elle lui permit de diviser par deux, puis par trois le temps de production rien qu'en augmentant la vitesse de passage de la chaîne. Ce faisant, il élimina tous ses concurrents, et avec eux la possibilité même d'autres façons de travailler.
Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail [2009], trad. Marc Saint-Ypéry, Paris, éditions de la Découverte, Poche, 2016, p. 53.
[1] Harry Braverman, Travail et capitalisme monopoliste : la dégradation du travail au XXe siècle, Maspero, Paris, 1976, p. 127.