L'autre versant des avant-gardes, celui qui se détache d'une histoire pensée comme le renouvellement des formes, à l'image de la "Théorie moderne de l'art[1]", est celui qui se laisse entrevoir à partir de Dada, de Fluxus, de Tzara, de Duchamp, de Cage, de Kaprow ou de l'expérience du Black Mountain College. Ce qui s'y trouve remis en question n'est pas tant l'obsolescence de formes ou de modes d'expression supposées s'effacer devant d'autres choix ou d'autres expériences, que la fracture dont l'art est constituée, au bénéfice d'une pratique de la vie susceptible d'en prendre congé. Allan Kaprow, fortement inspiré par l'idée deweyenne d'expérience, illustre très bien cette mise en congé.
Une première chose, à ce sujet, réside dans la manière dont l'idée d'art en tant que telle — ou mieux l'art comme toutes celles qui traversent l'histoire des avant-gardes, n'ont pas d'autre sens. L'attitude de Duchamp, l'inspiration qu'il puise dans le contexte des "avant avant-gardes" de la fin du XIXe siècle, dans la presse humoristique, n'a pas non plus d'autre objet : en finir avec l'art, c'est-à-dire avec le fossé que l'art autonome, comme institution, n'a cessé de creuser par rapport à la vie ordinaire.

Jean-Pierre Cometti, La nouvelle aura, Économies de l'art et de la culture, Paris, Questions théoriques, collection Saggio Casino, 2016, p. 76.

[1] Noel Caroll, dans son livre Art in Three Dimensions, Oxford, Oxford University Press, 2010, attribue à juste titre à la "Théorie moderne de l'art" les conceptions et les pratiques conçues sur le modèle d'une autonomie qui pense l'art indépendamment de ses relations avec la culture. Voir mon compte rendu : "L'art et le reste", La Vie des idées, 3 février 2011.