La performance, quant à ce qu'elle recouvre dans le champ artistique, ne doit évidemment rien au darwinisme social, ni à l'idéologie ultralibérale. En revanche, il n'est pas interdit d'observer que par certains côtés, elle offre une image qui répond assez bien aux finalités d'une économie qui a consacré un modèle d'individualité fondé sur l'action orientée vers les effets, l'importance attribuée aux effets, le risque et la réussite, le narcissisme et la gloire de la réussite. C'est peut-être une partie de la réponse à la question de sa reconnaissance. Si l'élément majeur, de ce point de vue, et quant à la parenté que l'on s'est mise à supposer entre l'artiste et le travailleur, repose sur le principe d'une action incertaine, alors l'artiste performeur l'incarne, au sens littéral du terme, plus que n'importe quel autre artiste. On en oublierait presque que lorsque les "actions" que l'ont serait tenté de ranger dans la même catégorie ne s'appelaient pas ainsi, l'aspect "performance" de la performance était plutôt ignoré ou tenu pour suspect. John Cage, qui peut être crédité d'une influence incontestable en ce domaine, observe, à propos de la musique de jazz, que les musiciens y ont l'habitude — détestable à ses yeux — de se livrer à une compétition[1]. L'artiste performeur est le plus souvent seul, mais il n'en livre pas moins un combat, et son esthétique relève pour une large part d'une recherche d'effet.
Jean-Pierre Cometti, La nouvelle aura, Économies de l'art et de la culture, Paris, Questions théoriques, collection Saggio Casino, 2016, p. 171-172.
[1] John Cage, Pour les oiseaux [1976], entretiens avec Daniel Charles, L'Herne, 2002.