À Port Radium, par des cousins issus de germains, Augoutretok lui trouva une chambre en ciment dans un espèce de club, ou de foyer, qui était tout ce qui pouvait tenir lieu d'hôtel dans l'agglomération. Enfin, une fois seul dans cette chambre, une fois les cantines ouvertes, Ferrer inventoria leur contenu.
Il s'agissait bien, comme prévu, d'art paléobaleinier rarissime, relevant des divers styles que Delahaye et d'autres experts lui avaient fait connaître. Il y avait là, entre autres choses, deux défenses de mammouth sculptées recouvertes de vivanite bleue, six paires de lunettes de neige taillées dans de l'andouiller de renne, une petite baleine sculptée dans un fanon de baleine, une armure d'ivoire à lacets, une machine à crever les yeux de caribous faite en bois de caribou, des pierres écrites, des poupées de quartz, des bilboquets en cubitus de phoque, en corne de bœuf musqué, des canines de narval et de requin gravées, des anneaux et des poinçons forgés en nickel de météorite. Il y avait aussi pas mal d'objets magiques et funéraires en forme de bretzel ou d'émerillon, faits de stéatite ou de néphrite polie, de jaspe rouge, d'ardoise verte et de silex bleu, gris, noir et de toutes les couleurs de la serpentine. Puis des masques en tous genres et, pour finir, une collection de crânes aux bouches colmatées par des rails d'obsidienne, aux orbites obturées par des boules d'ivoire de morse incrustées de pupilles en jais. Une fortune.
Jean Echenoz, Je m'en vais, Les éditions de minuit Mdouble, 1999-2001, p. 77-78.