On peut concevoir en effet la consommation comme une modalité caractéristique de notre civilisation industrielle — à condition de la dégager une fois pour toutes de son acception courante : celle d'un processus de satisfaction des besoins. La consommation n'est pas ce mode passif d'absorption et d'appropriation qu'on oppose au mode actif de la production, pour mettre en balance des schèmes naïfs de comportement (et d'aliénation). Il faut poser clairement dès le début que la consommation est un mode actif de relation (non seulement aux objets, mais à la collectivité et au monde), un mode d'activité systématique et de réponse globale sur lequel se fonde tout notre système culturel.
Il faut poser clairement que ce ne sont pas les objets et les produits matériels qui sont l'objet de la consommation : ils ne sont que l'objet du besoin et de la satisfaction. De tout temps on a acheté, possédé, joui, dépensé — et pourtant on ne "consommait" pas. Les fêtes "primitives", la prodigalité du seigneur féodal, le luxe du bourgeois du XIXe, ce n'est pas de la consommation. Et si nous sommes justifiés d'user de ce terme pour la société contemporaine, ce n'est pas que nous mangions mieux et plus, que nous absorbions plus d'images et de messages, que nous disposions de plus d'appareils et de gadgets. Le volume des biens ni la satisfaction des besoins ne suffisent à définir le concept de consommation : ils n'en sont qu'une condition préalable.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 275-276.