À ceci près que le temps même où il le paye est celui où il s'use : l'"échéance" de l'objet est liée à sa déchéance (on sait que les calculs des firmes américaines vont parfois jusqu"à faire coïncider les deux périodes). Ceci implique toujours le risque, en cas de défaillance ou de perte, que l'objet soit déchu avant d'être échu. Ce risque définit, même là où le crédit semble parfaitement intégré à la vie quotidienne, une insécurité qui ne fut jamais celle de l'objet "patrimonial". Ce dernier est à moi : j'en suis quitte. L'objet à crédit sera à moi quand il "aura été payé" : c'est quelque chose comme un futur antérieur.
Cette angoisse des échéances est très particulière, elle finit par constituer un processus parallèle qui pèse jour pour jour sans que la relation objective affleure à la conscience : elle obsède le projet humain, non la pratique immédiate. Hypothéqué, l'objet vous échappe dans le temps, il vous a au fond toujours échappé. Et cette fuite rejoint sur un autre plan celle de l'objet de série échappant continuellement vers le modèle. Cette double fuite compose la fragilité latente, la déception toujours proche du monde d'objets qui nous entoure.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 220.