Cette panique de perdre mes traces s'accompagna d'une fureur de conserver et de classer. Je gardais tout : les lettres avec leurs enveloppes, les contremarques de cinéma, les billets d'avions, les factures, les talons de chèques, les prospectus, les récépissés, les catalogues, les convocations, les hebdomadaires, les feutres secs, les briquets vides, et jusqu'à des quittances de gaz et d'électricité concernant un appartement que je n'habitais plus depuis plus de six ans, et parfois je passais toute une journée à trier et à trier, imaginant un classement qui remplirait chaque année, chaque mois, chaque jour de ma vie.

Georges Perec, Penser/Classer [1985], Paris, Seuil Essais, 2003 p. 69.