Deux jours peuvent suffire pour que l'on commence à s'acclimater. Le jour où l'on découvre que la statue de Ludwig Spankerfel di Nominatore (le célèbre brasseur) n'est qu'à trois minutes de son hôtel (au bout de la rue du Prince-Adalbert) alors que l'on mettait une grande demi-heure à y aller, on commence à prendre possession de la ville. Cela ne veut pas dire que l'on commence à l'habiter.
On garde souvent de ces villes à peine effleurées le souvenir d'un charme indéfinissable : le souvenir même de notre indécision, de nos pas hésitants, de notre regard qui ne savait vers quoi se tourner et que presque rien suffisait à émouvoir : une rue presque vide plantée de gros platanes (étaient-ce des platanes ?) à Belgrade, une façade de céramique à Sarrebrück, les pentes dans les rues d'Édimbourg, la largeur du Rhin, à Bâle, et la corde — le nom exact serait la traille — guidant le bac qui le traverse…
Georges Perec, Espèces d'espaces, Paris, Éditions Galilée, 1974/2000, p. 126.