Limitons-nous à quelques exemples de gestes que nous approuvons totalement. Le 16 janvier, des étudiants révolutionnaires de Caracas ont attaqué à main armée l'exposition d'art français, et ont emporté cinq tableaux dont ils ont proposé ensuite la restitution en échange de la libération de prisonniers politiques. Les tableaux ayant été ressaisis par les forces de l'ordre, non sans que Winston Bermudes, Luis Monselve et Gladys Troconis se soient défendus en faisant feu sur elles, d'autres camarades ont jeté quelques jours après sur le camion de la police qui transportait les tableaux récupérés deux bombes qui n'ont malheureusement pas réussi à le détruire. C'est manifestement là une manière exemplaire de traiter l'art du passé, de le remettre en jeu dans la vie, et sur ce qu'elle a de réellement important. Il est probable que depuis la mort de Gauguin ("J'ai voulu établir le droit de tout oser") et de Van Gogh jamais leur œuvre, récupérée par leurs ennemis, n'avait reçu du monde culturel un hommage qui s'accorde, comme cet acte des Vénézuéliens, à leur esprit.
Guy Debord, Les Situationnistes et les nouvelles formes d'action dans la politique ou l'art [1963], in Rapport sur la construction des situations, Paris, Fayard, Mille et une nuits, 2006, p. 51.