Ce qu'il y avait d'embêtant, c'est que Madame Rosa n'avait pas la sécurité sociale parce qu'elle était clandestine. Depuis la rafle par la police française quand elle était encore jeune et utile comme j'ai eu l'honneur, elle ne voulait figurer nulle part. Pourtant je connais des tas de Juifs à Belleville qui ont des cartes d'identité et toutes sortes de papiers qui les trahissent mais Madame Rosa ne voulait pas courir le risque d'être couchée en bonne et due forme sur des papiers qui le prouvent, car dès qu'on sait qui vous êtes on est sûr de vous le reprocher. Madame Rosa n'était pas patriote du tout et ça lui était égal si les gens étaient nord-africains ou arabes, maliens ou juifs, parce qu'elle n'avait pas de principes. Elle me disait souvent que tous les peuples ont de bons côtés et c'est pourquoi il y a des personnes qu'on appelle les historiens qui font spécialement des études et des recherches. Madame Rosa ne figurait donc nulle part et avait des faux papiers pour prouver qu'elle n'avait aucun rapport avec elle-même. Elle n'était pas remboursée par la sécurité.
Émile Ajar, La vie devant soi, Paris, Folio Mercure de France, 1975, p. 170-171.