En réalité, cette peur du culturel est plutôt réjouissante. Elle implique que la culture a une signification et quelque importance, un peu de pouvoir positif, et cela se manifeste plus encore en Union soviétique qu'aux États-Unis. La culture rend nerveux. Hermann Goering ne disait-il pas : "Quand j'entends le mot culture je sors mon revolver".
Je pense que la tentative de cohérence (entre les différents domaines artistiques) et l'élargissement qu'opérèrent le mouvement De Stijl, le Bauhaus et les constructivistes est une chose vivante, normale, et n'a rien d'autoritaire. En revanche, la séparation, l'isolement sont oppressifs, (…). Ces trois mouvements artistiques ont fait un travail fantastique. Ils n'ont pas imposé leurs œuvres au monde. Au contraire, tout le monde s'est servi de leur travail en l'appauvrissant. Je suis un jour monté à bord du vieux paquebot Queen Mary ou Elisabeth pour saluer Jack Wesley et Hannah Green avant leur départ. Le linoléum d'un des grands salon reprenait un Mondrian. Le revêtement du sol coûtait certainement plus cher que les 400 dollars que Mondrian avait reçus de Sidney Janis pour Trafalgar Square.
Donald Judd, Art et architecture, 1987, in Écrits 1963-1990, trad. Annie Perez, Paris, Daniel Lelong éditeur, 1991, p. 193.