L'idée de reconstitution anatomique, suppose la perception singulière de l'objet fossile, non comme ayant une signification en soi, mais comme vestige d'un passé, comme reste d'un être disparu[1]. Cet objet ne prend sens que s'il est ramené à la totalité d'un organisme dont il apparaît comme un fragment. Le reste fossile ne livre d'un animal que son squelette ou ses parties dures minéralisées, plus ou moins bien conservées par la fossilisation (dents, os, coquille, squelette externe). Les parties molles, les organes internes, la peau, les phanères, poils, plumes ou écailles, ont généralement disparu ; certains animaux (les mammifères mésozoïques par exemple) ne sont guère connus que par leur dents ou de rares fragments de leur squelette. La démarche paléontologique commence précisément à partir du moment où l'on considère que les restes trouvés représentent non le tout, mais seulement une partie de l'animal. Entre le fragment et le tout, l'opération de la reconstitution s'attache non seulement à l'animal lui-même (reconstitution anatomique), à son histoire (reconstitution phylogénétique), mais aussi à son mode de vie et à son environnement.

Claudine Cohen, La méthode de Zadig, La trace, le fossile, la preuve, Paris, Seuil, 2011, p. 109-110

[1] Le danois Nicolas Sténon (Niels Steensen) fait en 1666 la démonstration de la nature organique de certains "objets fossiles" : la dissection d'une tête de requin fait apparaître que les mystérieux objets connus sous le nom de "glossoptères" et identifiés comme des langues de serpent pétricfiées sont en réalité des dents de requin. Voir Nicolas Sténon (Niels Steensen), Elementorum myologiae speciemn, seu Musculi descriptio geometrica. Cui accedunt canis carchariae dissectum caput, et dissectus piscis ex canum genere, Florence, 1667, et sa démonstration "cartéseienne" de l'origine organique des fossiles dans De solido intra solidum naturaliter contento dissertationis prodomus, Florence, [1669], et J. G. Winter (dir.), The Prodromus of Nicolaus Steno's Dissertation, Londres, 1916. La démonstration de Sténon sera presque littéralement reprise par Leibniz dans sa Protogea, Göttingen, 1749, § XVUII et § XXXI. Voir C. Cohen et A. Wakefield, introduction à l'édition en langue anglaise de Protogea, The University of Chicago Press [2008], 2010, p. XXV-XXVI, 43-47 et 79-83.