Mais dans tous les cas, on leur fait entrer dans le tête une notion dont ils auront du mal à se défaire : ils ont appris, entre autres, que l'art prend la forme de la peinture, la sculpture, la poésie, l'architecture… Que la peinture est l'huile sur toile, que la sculpture est en marbre et en bronze en trois dimensions, que la poésie rime, que l'architecture… Que le plus bel art est celui du passé, que l'art moderne s'arrête à l'impressionnisme, que les arts visuels imitent la nature, que les tableaux et les sculptures doivent contenir un signifié (un récit littéraire) et que, sinon, il en s'agit pas d'art.
Effectivement, il leur suffit d'une visite dans un vrai musée pour découvrir ce qu'est véritablement l'art visuel et de quelle façon doivent être réalisées les peintures et les sculptures, en respectant naturellement les styles et les époques (sauf la nôtre évidemment).
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Mais ce n'est rien par rapport à ce qui suit : un vaste tableau de protestations sociales qui représente de misérables paysans massacrés à coups de pieds par des capitalistes (tableau hors de prix, que seuls des capitalistes pourront s'offrir pour le salon de leur villa à Varèse), de style impressionniste cubiste, aux couleurs vives et aux dessins extrêmement explicites, pour être compris de tous tout en restant une pièce unique. Ou un autre type de tableau contestataire, composé de morceaux de déchets, de chiffons et de ferraille (il existe également des sculptures de ce type), tous jetés là avec mépris mais sens artistique. Des œuvres d'art (toujours uniques) qui contrastent très bien avec la vaisselle et l'argenterie, dans une bonne maison bourgeoise qui veut montrer à quel point ses propriétaires sont bons avec les méchants artistes.

Bruno Munari, "Le mystère de l'art" in L'art du design, Paris, Pyramid éditions, 2012, p. 40-41.