Partout des surfaces polies, des murs droits, des angles à l'équerre, des cercles parfaits. Partout des sols lisses, des portes adéquates aux carrures. Partout des objets faits par l'homme, pour l'homme, des poignées au bout des mains, des tapis pour marcher… Taux d'oxygène constant. Humidité constante. Température constante. Constante gravité. Notre monde physique a été stabilisé, jusqu'au raffinement. Il a été adapté au plus petit dénominateur commun de nos paresses et de nos peurs, si bien adapté… qu'on ne s'adapte plus à rien, que le plus petit changement d'état nous est fatal : un courant d'air nous grippe. Naturellement la médecine masque bien les lacunes. Elle procède sur nos organes comme Slift avec ses glisseurs : elle change les pièces défectueuses, en place de meilleures sur les déjà bonnes, elle peinturlure pour cacher la rouille. Mais il ne faut pas être dupe : le corps de l'homme moderne est déchéant. Il s'est affaibli au cours des siècles. L'espérance de vie est passée de 40 à 95 ans. N'est-ce pas la preuve que l'on vit à moindre régime, pour durer, qu'il n'y a plus de débauche d'énergie ni d'excès de force, tout simplement parce qu'on n'a plus cette force des excès ?

Alain Damasio, La zone du dehors, Clamart, La Volte Folio Gallimard, 2007, p. 125-126.