Par conséquent, le premier point de l'idéal artistique du socialiste est qu'il devrait être accessible à tous, et ce n'est possible que si l'on admet enfin que l'art doit faire partie intégrante de tous les produits manufacturés possédant une forme bien précise et destinés à durer. En d'autres termes, au lieu de considérer l'art comme un luxe accessoire pour une classe privilégiée, le socialiste revendique l'art comme une nécessité de la vie humaine dont la société n'a le droit de priver aucun de ses citoyens. Il revendique aussi le droit pour chaque citoyen de se consacrer au travail qui lui convient le mieux. Ainsi, non seulement on gâcherait moins d'efforts, mais ceux-ci seraient utilisés à bon escient. Car je le redis encore une fois, un emploi agréable de nos énergies est la source de tout art et de tout bonheur : autrement dit, c'est une finalité de la vie. De sorte que, une fois de plus, la société qui n'offre pas à tous ses membres la possibilité d'employer son énergie à bon escient a oublié la finalité de la vie. Elle ne remplit pas ses fonctions et, par conséquent, ce n'est plus qu'une tyrannie à laquelle il faut résister sans ménagement.
En outre, quand on fabrique des biens, il faudrait conserver un peu de l'esprit de l'artisanat, que ces articles soient faits par la main de l'homme, par une machine qui vient en aide à la main ou bien par quelqu'un qui la remplace. Or l'artisan voit instinctivement dans les marchandises et dans leur utilisation l'objet de son travail. Les usages secondaires qu'on en fait et les exigences du marché, n'ont aucune importance pour lui. Peu lui chaut que les articles qu'il fabrique doivent servir à un esclave ou à un roi ; il ne se soucie que d'en fabriquer qui soient de la meilleure qualité possible.
William Morris, "L'art : idéal socialiste", in L'art et l'artisanat, trad. Thierry Gillyboeuf, Paris, éditions Payot&Rivages, 2011, p. 106-107.