Il ne viendrait sans doute à l'esprit de personne de nier que, de nos jours, peu de gens apprécient l'art ou y pensent. En gros, ce sont les riches et les parasites qui s'en occupent. Les pauvres ne peuvent s'offrir que l'art qu'on leur donne par charité et qui est d'une qualité infĂ©rieure inhérente à ce genre d'aumônes ; il ne vaut pas le détour, sauf pour des personnes faméliques.
À présent, après avoir éliminé les pauvres (autrement dit pratiquement tous ceux qui fabriquent tout ce qui a une forme, qui, comme cela a été dit plus haut, doit ou venir en aide à la vie ou bien la détruire) parce qu'ils ne prennent aucune part à l'art, voyons désormais comment les riches, qui y prennent part dans une certaine mesure, s'en tirent. Selon moi, ils en ont une approche indigente bien qu'ils soient riches. En se coupant de la vie que mènent les hommes qui les entourent, ils peuvent tirer un certain plaisir d'un petit nombre d'œuvres d'art, qu'elles fassent partie du naufrage du passé, ou bien qu'elles soient les produits du travail, de l'intelligence et de la patience individuels de quelques hommes de génie contemporains, luttant désespérément contre toutes les tendances de l'époque. Ils ne peuvent que s'enfermer dans une sorte de petite serre artistique où l'air qu'ils respirent est radicalement différent de l'extérieur.

William Morris, "L'art : idéal socialiste", in L'art et l'artisanat, trad. Thierry Gillyboeuf, Paris, éditions Payot&Rivages, 2011, p. 103-104.