Jeremy rebroussa chemin et retourna s'asseoir sur le même banc. Il avait besoin de réfléchir. Pour la troisième fois, il voyait Rachel, pour la troisième fois, elle se volatilisait ! Elle refusait de parler d'elle et dès que Jeremy avait mentionnait son nom, elle s'était enfuie, terrorisée, en lui interdisant de la suivre.
Pourquoi ?
Jeremy n'avait pas de réponse. Il savait seulement, au plus profond de lui-même, qu'il serait amené à la revoir. Jamais encore il ne s'était trouvé aussi proche d'un être humain : il éprouvait ses peurs, ressentait son trouble, comme s'ils étaient siens. Il semblait n'y avoir aucune barrière entre eux. Comment pouvait-elle vouloir le fuir puisqu'ils étaient si proches ?
Arrivé à ce stade de réflexion, il se sentit rasséréné, l'esprit clair, sûr de lui. Rien d'autre ne comptait que Rachel. Le soleil brillait haut dans le ciel.
En tournant la tête, il se rendit compte qu'il n'était plus seul. Un homme d'un certain âge, à l'air distingué, avait pris place à l'autre bout du banc ; le nez chaussé de lunettes à monture d'écaille, il lisait un petit livre à la couverture usée. Un étui à lunettes en cuir grenu était tombé à ses pieds. Jeremy se pencha pour le ramasser et le lui tendit.
Patricia Wentworth, Prends garde à toi ! [1993], trad. Anne-Marie Carrière, Paris, 10/18, 2014, p. 109.