D'un côté je nomme l'hésitation une indécision. Cette imperfection du vouloir est parfois douloureusement ressentie ; j'y pressens comme une perte de moi-même ; je m'angoisse de n'être point encore, faute d'être un. Dans l'hésitation je suis plusieurs, je ne suis pas. On se tromperait grandement si l'on identifiait la découverte de la possibilité qui est mon être même à celle de cette indécision ; La possibilité radicale n'est pas l'indécision que ruine le choix, mais le pouvoir qu'inaugure le choix lui-même (cf. chap. I, II) ; la véritable possibilité est celle que j'ouvre en moi en décidant, c'est-à-dire en ouvrant, par un projet effectif, des possibilités dans le monde ; le signe de cette possibilité projetée en avant de moi est ce sentiment de pouvoir et de puissance qui contient toute l'alerte du corps, tous les pouvoirs retenus au bord de l'action réelle et que le projet éveille ou rencontre dans l'épaisseur du corps. L'hésitation illustre par l'absurde ces vérités de droit : dans le chaos de mes intentions rampe la conviction de mon impuissance ; j'éprouve non ma possibilité, mais mon impossibilité : "je ne suis pas à la hauteur", "je perds pied", "je suis perdu, noyé" ; je me sens impuissant.
Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, 1. Le Volontaire et l'Involontaire [1950], Paris, Essais Points, 2009, p. 180.