Il médita longuement sur son sort. Il releva le col de son pull. Comment pouvait-on dire que le plus dur était derrière soi ? Du jardin montait un parfum de vieilles fleurs en sursis. Après s'être gorgée d'eau tout l'été, la terre avait accueilli tout ce qui poussait — tous les jardiniers du coin avaient attrapé des ampoules aux mains. Le mimosa était devenu fou, les hortensias idem, les rosiers péroraient sans fin. Tout cela macérait.
Il se disait qu'au pire il pourrait regagner l'intérieur en rampant — après s'être laissé choir sur le sol comme un hareng surgelé. Était-ce la contrariété ? Il avait l'impression que la douleur l'encerclait et refermait son étreinte. Il ne fallait pas bouger d'un cheveu sous peine de rester coincé, comme ce jeune vendeur qu'il avait eu autrefois et qui avait passé trois jours sur le sol de sa cuisine à cause d'une hernie discale, tétanisé. Était-ce l'accumulation de ses déconvenues ?
En tendant le bras, il s'agrippa au pied du parasol et se rapprocha du minibar. Après quelques contorsion, il s'empara d'une bouteille d'eau plate et avala deux grammes d'aspirine tamponnée — ses rêves étaient ordinairement ponctués de gestes qu'il ne pouvait effectuer, de cibles qu'il ne pouvait atteindre, de pieds plombés, de bras trop courts et il se réveillait en sueur et ne parvenait guère à se rendormir.
L'aspirine le rendit plus léger. Le temps passa sans réelle consistance. Il ne pouvait pas bouger mais son esprit vagabondait.

(…)

Il ferma les yeux, serra les dents. Par chance, il se trouvait au cœur de l'ombre, dans le recoin formé par une saillie du mur et quelques buissons en pot, si bien qu'il se trouvait hors de vue. Aussi longtemps qu'ils resteraient à l'intérieur.

Philippe Djian, Doggy bag, saison 4, Paris, Folio Gallimard, 2007, p. 108-109..