Notre banc était occupé par deux adolescents qui s'embrassaient à pleine bouche. J'étais en avance. J'ai tourné un moment autour d'eux en espérant que je les dérangerais et qu'ils iraient poursuivre ailleurs leur baiser dégoûtant — on aurait dit qu'ils se dévoraient l'un l'autre, on aurait dit une lutte —, mais il n'ont pas bougé.
Je suis allée voir les serpents, les araignées, les scorpions, et à mon retour, ils étaient toujours là, leurs bouches collées, luisantes de salive. Je me suis assise à côté d'eux.
J'ai dit à Nathan assieds-toi, je pense qu'ils auront bientôt fini.
Je venais de faire deux heure de route, je n'avais rien mangé, l'air été chaud. Il a froncé les sourcils en considérant mes voisins qui essayaient sans doute de battre un de ces records insensés, puis il s'est mis à côté de moi et il m'a demandé sur un ton sarcastique comment se passaient les vacances.
Très bien, j'ai répondu. L'eau est super bonne.
Il s'est penché pour examiner les deux autres tout en me disant maintenant, vas-y, de quoi tu veux parler.
Je suis restée muette, sur le coup.
Écoute, je peux pas supporter ça, a-t-il repris. Tirons-nous.
Tu cherches quoi, j'ai demandé en le retenant par le bras. À quoi tu joues.
Il s'est retourné vers moi. Avec une moue, il m'a fait quoi, qu'est-ce que tu me racontes.
Ça me fait peur, j'ai dit.
Oui, mais tout te fait peur, j'ai l'impression.
Je me suis forcée à rester droite, à le regarder dans les yeux. J'ai fini par lâcher à qui la faute.
Il a éclaté de rire. Tu essaies de me flanquer ça sur le dos, c'est bien ça. Putain, c'est la meilleure. Il s'est levé en riant. Je me suis levée à mon tour. Il est parti en riant. Par une espèce de miracle, le jeune type est parvenu à décoller sa bouche de sa compagne qui m'a jeté un regard noir.
On vous dérange ou quoi, a fait le collégien. On vous fait rire.
Philippe Djian, Dispersez-vous, ralliez-vous !, Paris, Folio Gallimard, 2016, p. 64-65.