Eileen m'a demandé pourquoi j'avais l'air soucieux. J'ai remis une bûche dans le Sirius et je lui ai répondu que c'était passager.
— C'est comme une sorte de trac…, ai-je précisé sur le ton de la plaisanterie. Cela me poursuit depuis la mort de ma belle-mère… Écoutez…, j'aimerais bien pouvoir vous parler, mais ce n'est pas possible. Soyez gentille, ne me demandez pas pourquoi.
J'ai levé un oeil pour m'assurer que personne n'écoutait. Je me suis tourné vers le poêle pour terminer la conversation.
— Vous savez, lui ai-je murmuré à l'oreille, je suis arrivé à un âge où les paroles ne comptent plus beaucoup. On s'en fatigue vite. Je n'ai pas besoin qu'on me tienne la main, pour le moment. Cela me gênerait plus qu'autre chose…
— Ce qui est fatigant, c'est de faire un pas en avant et un autre en arrière…, m'a-t-elle soufflé.
J'ai ricané dans mon coin.
— Mais plus ça va et moins on a le droit à l'erreur…, lui ai-je rétorqué. Vous avez remarqué que vers la fin, la moindre chute vous casse le col du fémur ? On passe de la souplesse à la raideur, de quelque manière qu'on s'y prenne…
Philippe Djian, Assassins, Paris, Folio Gallimard, 1994, p. 260.