"Le peuple n'existe plus, c'est l'individualité sérielle de masse qui l'a remplacé. […] Le peuple, ce n'est pas le peuple matérialisé par la masse humaine mais la possibilité toujours ouverte qu'un peuple "soit". Or cette possibilité a disparu : le peuple — les peuples ont été dissous […]. Que tout se gouverne à la peur, que tout s'exprime dans le vocabulaire de la sécurisation et que tout soit aligné sur cet horizon ne fait plus guère de doute pour personne."

Le peuple existe. L'individualité sérielle de masse ne l'a pas remplacé.
Le peuple, c'est le peuple matérialisé par la masse humaine. Le peuple n'est pas une possibilité ; il est effectif dès qu'il agit. Cela n'a pas disparu : le peuple — les peuples n'ont pas été dissous.

Que tout se gouverne à la peur, que tout s'exprime dans le vocabulaire de la sécurisation et que tout soit aligné sur cet horizon fait douter quelqu'un.

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1. Si le peuple n'existe plus, alors il n'y a pas eu d'émeutes (révoltes) en banlieue.
1.1. Ou alors, c'est que nous pensons que les émeutiers (révoltés) des banlieues n'appartiennent pas au peuple, ne manifestent pas un peuple.
2. Si nous pensons que les émeutes des banlieues ne manifestent pas l'existence d'un peuple, c'est qu'elles sont le produit d'une série d'individus simplement énervés et qu'on calmera à l'eau froide.
3. Si nous pensons que ces émeutes ne sont pas des mouvements populaires, alors ne les appelons pas émeutes, car l'émeute est un mouvement populaire.
4. Nous regrettons que ces émeutes soient spontanées, non organisées. L'émeute, c'est une insurrection qui a échoué. Par conséquent, les émeutiers des banlieues ont échoué (selon nous). D'ailleurs, ils sont dans l'échec (scolaire d'abord, émeutier ensuite).
5. Les émeutes ont eu lieu, par l'insurrection — qui vient. Nous préférons l'insurrection qui va venir aux émeutes qui ont effectivement eu lieu — sans nous.
6. Les émeutes sont ponctuelles. Ces émeutes sont presque toutes consécutives à la mort d'un jeune homme ou de plusieurs, tué(s) par la police, ponctuellement. À partir de combien de points obtient-on une ligne ?
6.1. Si l'on obtient une ligne, ou si l'on n'est pas loin d'obtenir une ligne temporelle continue (émeutes en 81, émeutes en 84, 85, etc., etc), c'est donc qu'il y a une continuité de l'émeute. Comment nomme-t-on cette continuité, latente ou manifeste, de l'émeute ?
7. Les émeutiers des banlieues ne décollent pas de l'émeute. On ne peut que vouloir décoller de l'émeute. L'émeute n'est pas une ambition. On n'ambitionne pas de vivre en banlieue, d'être émeutier, bref, de faire partie d'un peuple.
7.1. Ils font partie d'un peuple.
7.2. Le peuple manque.
7.3. Nous résolvons cette double contrainte par un futur simple de l'indicatif (l'insurrection viendra).
8. In-su-rrec-tion : 4 syllabes.
Émeute : 2 syllabes.
In-su-rrec-tion : 5 syllabes (avec la diérèse lyrique).
9. L'émeute raffermit les gouvernements qu'elle ne renverse pas (Victor Hugo).
Les émeutes des banlieues n'ont pas renversé le gouvernement.
Les émeutes des banlieues ont raffermi le gouvernement.
Non seulement les émeutiers des banlieues ont échoué, mais en plus ils ont largement contribué à la situation calamiteuse dans laquelle nous sommes.
9.1. Qu'ils arrêtent, ou s'organisent.
Une émeute n'est pas un mouvement organisé.
10. Les banlieusards n'ont produit jusqu'à présent que des émeutes. Ils sont incapables d'autre chose que l'émeute.
10.1. Ils ne retiennent du mot émeute que l'étymologie : émoi, émotion. Ils ne pensent pas (ils sont manuels).
10.2. Nous ne retenons de l'émeute que léeffet qu'elle nous fait — peur et fascination (ou inquiétude et enthousiasme). L'émeute ne fait pas penser.
10.3. Nous pensons qu'une pensée construite par une succession de propositions logiquement enchaînées fait penser. À voir.

Nathalie Quintane, Tomates, Paris, P.O.L, 2010, p. 75-79.

"Le peuple n’existe plus […] pour personne" in Le Commerce des charmes, Jean-Paul Curnier (éd. 104/Lignes, 2009), p. 19.À voir. À cette série contestable — et qui ne demandait qu'à être contestée —, Jean-Paul Curnier a bien voulu apporter une réponse (voir annexe p. 111).