Les orbites ne sont pas difficiles à comprendre. C'est la gravité qui agite les profondeurs de l'insomnie. On peut se rappeler que la loi d'après laquelle ce qui monte doit redescendre est toujours une découverte formidable pour un jeune enfant (qui prête à chaque ballon des vertus magiques). Un adulte au contraire bâtit les fondations de son bon sens sur la chute certaine d'un objet qui n'a pas de support. Ce qui s'élève doit redescendre. Bien sûr le LM d'Apollo X ne redescendrait jamais : il était en orbite autour du Soleil, et Mariner ne était posé sur la Lune et il était resté là. La Lune avait donc sans doute sa propre force de gravité, tout comme Mars et Vénus et les autres planètes et le Soleil. Chaque corps céleste avait son domaine de gravité, son champs d'attraction. C'était même le cas de tout corps physique. Il existait une force qui rapprochait les corps, et la physique l'avait calculée comme étant en raison inverse de la distance qui les séparait, ce qui était une autre façon de dire que l'attraction augmentait quand les corps se rapprochaient, qu'elle croissait en raison inverse du carré de la distance. (…) Bien sûr, si les corps n'étaient qu'à cinquante centimètres l'un de l'autre, la force d'attraction serait quatre fois plus grande que lorsqu'un mètre les séparait. C'était la première partie d'un extraordinaire rapport. La seconde était que, quelle que fût l'attraction, qu'elle fût forte ou faible, les deux corps étaient attirés en raison inverse de leur masse, ce qui veut dire grossièrement de façon inversement proportionnelle au poids. Des corps lourds attireraient des corps légers plus vite que des corps légers ne produiraient un mouvement sur des corps lourds. (…) C'était plus qu'une théorie : les lois de la gravité étaient les lois les plus saines du comportement dans le royaume de la physique : il suffisait de ne pas personnifier les corps, de ne pas leur donner une volonté propre, ni une curiosité, ni des caprices, ni des désirs indépendants ni une résistance indépendante. De toute évidence, une théorie de la mécanique sexuelle ne pourrait jamais être fondée sur la gravité. La gravité pourtant était un mystère étonnant : pourquoi des objets inanimés s'attiraient-ils ? Et pourquoi des objets animés comme des êtres humains se comportaient-ils comme des objets inanimés dans certaines conditions, par exemple quand ils sautaient du haut d'un immeuble ? Le corps humain pénétrait alors dans le domaines des lois physiques avec un poids de quatre-vingt-dix kilos. Comme la terre avait un poids de l'ordre de six milliards de trillions de tonnes, il n'y avait pas de réciprocité perceptible.
Norman Mailer, Bivouac sur la lune [1969, 1970], trad. Jean Rosenthal, Paris, collection Pavillon poche éditions Robert Laffont, 1971, 2009, p. 309-310.