L'avion revint sur moi et il commença à tirer alors que je n'étais qu'à quelques mètres du rocher. Je vis les balles faire sauter le sable devant moi ; et je me jetai contre la pierre. Les dernières balles de la rafale frappèrent le rocher que les coups firent résonner contre mon ventre : cela me donna l'impression que les balles m'entraient dans le corps. Je m'écartai de quelques centimètres du rocher, mais, au deuxième passage de l'avion, je m'y collai de nouveau. L'appareil fit encore quelques passages sans tirer, puis il s'éloigna, mais pas bien loin. "Ce salaud, là-haut, qui essaye de m'avoir, peut-être que je le connais", pensais-je.
"Noureddine ! Noureddine !" Du sommet on m'appelait. Ne tournant que la tête, je répondis : "Oui !
— Tu vas bien ?
— Oui !
— Le chef te fais dire de rester où tu es.
— Oui !"
Je comprenais pourquoi : où j'étais, il était difficile à l'avion de m'avoir et aller vers ceux du haut ou ceux du bas, même si j'en avais le temps, c'était les faire repérer.
Je passai donc toute la matinée allongé contre le rocher, les bras étendus devant moi. Pour passer le temps, je sortis de ma poche un petit morceau de bois et une lame de rasoir enveloppée dans un morceau de journal. Depuis quelque temps, je sculptais pour m'occuper. Le seul bois que je trouvais, c'étaient des racines amenées par les eaux ou le vent. Je ne pouvais donc faire que des choses très petites : je façonnais des boutons de manchettes ou des petits médaillons. Pour Kadou, j'avais commencé des boutons : c'étaient quatre petits masques ; au premier j'avais donné des traits négroïdes, le deuxième avait la bouche riante et les yeux en amande d'une statue Kmer, le troisième avait les traits durs, anguleux, le dernier, celui que j'allais finir, aurait le nez grec et la bouche mince.
Noël Favrelière, Le désert à l'aube, Paris, Les éditions de Minuit, 1960/2000, p. 155-156.