Accompagnées de Mr Baker, nous partîmes vers le nord admirer une cascade, pour ensuite prendre le train à la gare suivante. Une calèche nous conduisit le long d'une route sinueuse qui courait entre de hautes montagnes, d'où est extrait le marbre noir. Arrivés à un plateau, nous descendîmes et traversâmes les champs jusqu'à la rivière, qui tombe en cascade. L'eau est glacée et si clair qu'on peut voir le fond, à six mètres de profondeur. Nous aperçûmes des chevaux pencher leur tête pour "pêcher" l'herbe dans le lit du cours d'eau : ils y plongeaient le nez et en ressortaient avec une pleine bouchée. On peut se baigner dans la rivière ; les arbres qui l'entourent rendent le paysage bucolique. Des souches de bois, moussues et fraîches, saillent le long du courant, invitant le promeneur à faire une pause.
Au pied de l'une d'elles, nous découvrîmes des feuilles vertes qui bougeaient, mues par une puissance invisible. Après enquête, il s'avéra qu'une armée de fourmis les transportaient sur leur dos, comme autant de petites voiles. Les insectes montèrent sur une branche de saule à moitié immergée, au péril de leur vie. Puis ils transportèrent des morceaux de feuille jusqu'à la fourmilière, deux cents mètres plus loin. Sur l'herbe, leur passage en file indienne avait creusé un petit chemin de dix centimètres de large. Saletés et détritus n'entravaient guère leur course, car il était d'une propreté irréprochable. Les fourmis revinrent vers la souche et s'engouffrèrent dans un trou. Que pouvaient-elles bien faire de toutes ces feuilles ? Elles étaient si fascinantes que nous les quittâmes à regret. Le cœur lourd, nous prîmes notre train, et perdîmes bientôt de vue la vallée d'Orizaba pour partir à la découverte d'une nouvelle ville.
6 mois au Mexique, un reportage de Nellie Bly [1888], trad. Hélène Cohen, Éditions du sous-sol, 2016, p. 160.