Le lendemain matin, nous reprîmes la route pour Veracruz. J'étais excitée à l'idée de ce voyage, car le trajet en tramway s'était révélé formidable. Il y avait peu de passagers : deux soldats, une femme âgée et un coq qui poussait un "Cocorico" dans chaque village et que l'on traitait avec autant d'égards que s'il s'était agi d'un bébé. À la gare, juste avant le départ, un vieil homme qui nous avait entendues parler anglais nous accosta. C'était un Américain, mais vivant au Mexique depuis quarante ans, il avait publié sa langue maternelle. Son anglais n'était effectivement pas meilleur que celui du petit vendeur de journaux qui m'avait conduite jusqu'à un hôtel à Veracruz. La vieille femme, tête nue, s'apprêtait à faire deux cent vingt kilomètres pour se rendre au mariage de sa fille. Elle ignorait l'existence des États-Unis, n'avait jamais entendu parler de New York, ni de George Washington, pas plus que de sa hache ni de son cri démocratique : "Si vous ne réussissez pas du premier coup, réessayez encore et encore". Elle passa le trajet une cigarette à la bouche ou le nez plongé dans son bréviaire. Le cocher s'arrêta à un moment donné pour recueillir un petit oiseau gris qui gisait sur le bas-côté. En l'examinant, je découvris qu'il avait un trou dans le flanc, mais je l'enveloppai dans mon mouchoir de soie, résolue à l'emmener à Veracruz où je mettrais à l'épreuve mes talents de chirurgien. La journée se déroula comme la précédente, tout le monde s'assoupit après le repas ; mais la beauté du paysage, alliée à ce nouveau périple à bord d'un tramway, me fit oublier tous les désagréments, et tandis que nous approchions de Veracruz je me rendis compte que c'était non seulement l'expérience la plus excitante de ma vie, mais que je ne l'échangeais contre aucune autre dans la République du Mexique.
6 mois au Mexique, un reportage de Nellie Bly [1888], trad. Hélène Cohen, Éditions du sous-sol, 2016, p. 142.