Je ne voudrais pas terminer sans mot dire au moins de la nature de l'illusionnisme dans cette peinture. Même s'il repose sur l'application rigoureuse de la perspective à deux point de fuite, il représente, lui aussi, une innovation en peinture. En gros, l'illusion est d'une plaque carrée (dont certaines proportions ont été retranchées), orientée de telle sorte qu'un de ses coins semble pointer en direction du spectateur, et vue en surplomb. L'élément intéressant, dans l'affaire, est le suivant : l'illusion opère de telle sorte que la plaque nous paraît horizontale, comme posée au sol ; ce qui signifie que le surplomb ne devient possible qu'à la condition de se placer nettement au-dessus et de la plaque elle-même, et du plan imaginaire qu'elle semble définir au sol. Qui plus est, le spectateur n'est pas seulement suspendu au-dessus de la plaque ; il est aussi, en même temps, incliné vers elle — sinon il ne serait pas dans une position de surplomb. L'illusion d'objectité, dans cette peinture, creuse moins le mur qu'elle ne dissout le sol sous nos pieds, comme si la saisie indépendante de la surface et de l'illusion résultait d'un rapport physique à l'une et l'autre d'une nature radicalement différente. L'illusionnisme de Davis s'adresse donc non seulement à la vue, mais aussi à un sens que l'on pourrait dire de directionnalité. Il y a eu de puissants signes avant-coureurs de cette évolution dans la peinture récente, notamment celle de Noland ou Olitski ; j'ai avancé l'hypothèse, il y a peu, que les toiles au pistolet d'Olitski en appelaient non pas à notre capacité (ou incapacité) à situer les objets, mais à notre capacité (ou incapacité) à nous orienter[1]. La chose vaut aussi, me semble-t-il, pour la nouvelle peinture de Davis.
Michael Fried, Chapitre 4, Ronald Davis : surface et illusion, in Contre la théâtralité, Du minimalisme à la photographie contemporaine, 1998-2006, trad. Fabienne Durand-Bogaert, Paris, nrf essais Gallimard, 2007, p. 100.
[1] Cf. "Jules Olitski".