Doris, debout sur les marches, regarda autour d'elle. Tout paraissait très normal de prime abord. La Saab bleue du père des cousins dans la cour, du côté de la grange la vieille mobylette qui finissait de rouiller et quelques vélos ; un seau bleu, un arrosoir gris auquel manquait la pomme, un râteau de jardin abandonné dans le massif de fleurs à l'angle de la maison, parmi les immortelles et les pois de senteur violets et roses aux tiges fragiles qui sortaient avec hésitation de la terre marron et tentaient de s'accrocher aux clous qu'on avait plantés ici et là dans la façade. Mais les uns et les autres étaient couverts de suie, leurs feuilles vertes parsemées de taches brunes. Et puis la puanteur, elle ne s'en allait pas, vraiment pas, elle était partout. Pus forte que jamais, et alors Doris leva la tête et regarda vers la hauteur où se dressait la maison de la Première Pointe. Incroyable.
La maison était bien là. Et pourtant. Une partie d'elle ressemblait à une bouche noire, une gueule ouverte, un trou. C'était complètement ouvert à cet endroit. Comme si un morceau de la maison était tombé. Et la tour penchait et plusieurs vitres étaient brisées. La maison de la chance était transformée en une gueule béante, détruite, là-bas, dans le matin infiniment silencieux. Et puis la forêt à côté. Comme si on avait fait un trou dedans. La forêt avait en partie brûlé et le sol incendié courait comme un large sillon s'enfonçant entre les arbres bien plus loin que l'œil ne pouvait le voir de l'endroit où se tenait Doris.
Monika Fagerholm, La fille américaine [2004], trad. Anna Gibson, Paris, éditions Stock, Le Livre de Poche 2007, p. 290-291.