À l'école de la Cathédrale, les petites infractions au règlement étaient punies de manière standard par des "lignes", c'est-à-dire que le trublion devait copier un nombre de pages donné dans un des excellents ouvrages soumis à l'étude de ses condisciples. "Maxted, cinq pages ; Ballard, huit." Voilà comment tombait la sentence. La corvée, considérable, s'ajoutait aux devoirs normaux. En général, le texte choisi était tiré d'un des livres victoriens de la bibliothèque scolaire — G. A. Henty, Dickens (on nous fit lire Le Conte des deux cités, dont je détestai le profond pessimisme) ou Charles Kingsley. Un soir, à la maison, pendant que je copiais laborieusement d'interminables paragraphes de Westward Ho !, de Kingsley, un roman sur les colonies espagnoles des Caraïbes, la pensée me vint que je écrivant moi-même l'histoire. Je rédigeai donc des aventures de piraterie aussi fiévreuses que palpitantes. Comme tous mes condisciples, je tenais pour acquis que nos enseignants ne lisaient jamais nos lignes, mais le lendemain du jour où je rendis ma copie le révérend Matthews me désigna d'un air sévère à toute la classe d'histoire sainte en disant :
"La prochaine fois, Ballard, gardez-vous de recopier un mauvais roman…"
Telle fut ma première critique — une sorte de reconnaissance qui me poussa à d'autres tentatives, pour mon propre amusement. Peut-être plaça-t-elle ma fiction sur ses rails de subversion.
James Graham Ballard, La vie et rien d'autre [2008], trad. Michelle Charrier, Paris, éditions Denoël, 2009, p. 51-52.