J'ai mis pied à terre. Une décapotable blanche qui venait vers nous a lancé un appel de phares. Mon genou, éprouvé par la conduite, s'est dérobé sous moi et j'ai failli tomber. Mes pieds traînaient sur un tapis de feuilles mortes, de paquets de cigarettes froissés et de débris de verre. Cette poussière de verre sécurité, balayée sur l'arrondi du talus par d'innombrables ambulanciers, formait comme la moraine d'un glacier miniature. J'étais fasciné par ce collier poudreux, vestige d'un millier de collisions. D'ici trente ans, d'accident en accident, le tapis deviendrait dune. Dans cinquante ans, ce serait une plage de cristaux acérés. Une nouvelle race de clochards surgirait alors, cherchant à croupetons, parmi ces ondulations de pare-brise pulvérisés, des mégots, des préservatifs usagés et de la petite monnaie. Enfouie au sein de cette nouvelle strate géologique formée par l'âge de l'accident automobile, il y aurait ma propre mort, minuscule, aussi anonyme qu'une balafre vitrifiée sur un arbre fossile.

James Graham Ballard, Crash! [1973], trad. Robert Louit, Paris, Folio Denoƫl, 2005, p. 91-92.