Démasqué, le mythomane fait faillite, ou bien il s'en tire en racontant une autre histoire. L'acheteur à crédit lui aussi butera sur les échéances et il y a de fortes chances pour qu'il cherche un réconfort psychologique dans l'achat d'un autre objet à crédit. La fuite en avant est la règle dans cet ordre de comportement, et le trait le plus admirable dans les deux cas, c'est qu'il n'y a jamais voie de conséquence : ni chez le mythomane entre l'histoire qu'il raconte et l'échec qu'il éprouve (il n'en tire aucune leçon de réalité), ni chez l'acheteur à crédit entre sa gratification magique de l'achat et les traites qu'il faut payer ensuite. Le système de crédit met ici un comble à l'irresponsabilité de l'homme vis-à-vis de lui-même : celui qui achète aliène celui qui paye, c'est le même homme, mais le système, par son déécalage dans le temps, fait qu'il n'en prend pas conscience.

Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 226.