Le passé et l'exotique en matière d'objets ont une dimension sociale : culture et revenus. De la classe aisée, qui se fournit dans le Moyen Âge, la Haute Époque ou la Régence chez son antiquaire, à la classe moyenne cultivée qui cherche chez le brocanteur des Puces le décor culturel de la bourgeoisie mêlée de paysannerie "authentique" — jusqu'au rustique tout à fait pour le secteur tertiaire (là, c'est le décor paysan très embourgeoisé de la génération antérieure, les "styles" provinciaux, en fait un pot-pourri non daté, avec des réminiscences de "style") : chaque classe a son musée personnel d'occasion. Seuls dans une large mesure encore, l'ouvrier et le paysan n'aiment pas l'ancien. C'est qu'ils n'en ont ni le loisir ni l'argent, c'est surtout qu'ils ne participent pas encore au phénomàne d'acculturation qui affecte les autres classes (ils ne le refusent pas consciemment, ils y échappent). Cependant, ils n'aiment pas non plus le moderne "expérimental", la "création", l'avant-garde. Leur musée à eux se réduira souvent à la quincaillerie la plus humble, à tout un folklore d'animaux de faîence et de terre cuite, de bibelots, de tasses, de souvenirs encadrés, etc., toute une imagerie d'Épinal qui voisinera avec le dernier modèle d'appareil électro-ménager.

Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 210-211.