C'est dans la mesure où tout un éventail lui est offert que l'acheteur dépasse la stricte nécessité de l'achat et s'engage personnellement au-delà. D'ailleurs nous n'avons même plus la possibilité de ne pas choisir et d'acheter simplement un objet en fonction de l'usage — nul objet aujourd'hui ne se propose ainsi au "degré zéro" de l'achat. De gré ou de force, la liberté que nous avons de choisir nous contraint à entrer dans un système culturel. Ce choix est donc spécieux : si nous le ressentons comme liberté, nous ressentons moins qu'il nous est imposé comme tel, et qu'à travers lui, c'est la société globale qui s'impose à nous. Choisir telle voiture plutôt que telle autre, vous personnalise peut-être, mais surtout le fait de choisir vous assigne à l'ensemble de l'ordre économique. "Le seul fait de choisir tel ou tel objet pour vous distinguer des autres est en soi-même un service social" (Stuart Mill). En multipliant les objets, la société dérive sur eux la faculté de choisir et neutralise ainsi le danger que constitue toujours pour elle cette exigence personnelle. Il est clair à partir de là que la notion de "personnalisation" est plus qu"un argument publicitaire : c'est un concept idéologique fondamental d'une société qui vise, en "personnalisant" les objets et les croyances, à mieux intégrer les personnes.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 197.