Parce que l'objet automatisé "marche tout seul", il impose une ressemblance avec l'individu humain autonome, et cette fascination l'emporte. Nous sommes devant un nouvel anthropomorphisme. Jadis les outils, les meubles, la maison elle-même portaient dans leur morphologie, dans leur usage, clairement empreintes la présence et l'image de l'homme [1]. Cette collusion est détruite au niveau de l'objet technique perfectionné, mais il s'y substitue un symbolisme qui n'est plus celui des fonctions primaires, mais des fonctions super-structurelles : ce ne sont plus ses gestes, son énergie, ses besoins, l'image de son corps que l'homme projette dans les objets automatisés, c'est l'autonomie de sa conscience, son pouvoir de contrôle, son individualité propre, l'idée de sa personne.

Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 157.

[1] Même l'objet mécanique y répond encore : ainsi l'automobile n'a cessé d'être, dans sa fonction même de véhicule à l'image de l'homme. Lignes, formes, organisation interne, mode de propulsion, carburant — elle n'a jamais cessé de renier toutes sortes de virtualités structurelles pour obéir aux injonctions de la morphologie, du comportement et de la psychologie humains.