Ce que l'homme trouve dans les objets, ce n'est pas l'assurance de se survivre, c'est de vivre dès maintenant continuellement sur un mode cyclique et contrôlé le processus de son existence et de dépasser ainsi symboliquement cette existence réelle dont l'événement irréversible lui échappe.
Nous ne sommes pas loin ici de la balle par laquelle l'enfant (dans l'analyse de Freud), la faisant disparaître et réapparaître, vit alternativement l'absence et la présence de sa mère — fort-da fort-da — et répond à l'angoisse de l'absence par le cycle indéfini de réapparition de la balle. On saisit bien là l'implication symbolique du jeu dans la série, et, on pourrait ainsi dire en résumant : l'objet est ce dont nous faisons notre deuil — en ce sens qu'il figure notre propre mort mais dépassée (symboliquement) par le fait que nous le possédons, par le fait que, en l'introjectant dans un travail de deuil, c'est-à-dire en l'intégrant dans une série o&ygrave "travaille" à se rejouer continuellement en cycle cette absence et son resurgissement hors de cette absence, nous résolvons l'événement angoissant de l'absence de la mort réelle. Nous opérons dès maintenant dans la vie quotidienne ce travail de deuil sur nous-mêmes grâce aux objets, et ceci nous permet de vivre, régressivement certes, mais de vivre.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 136-137.