Mais le voyageur moderne, qui n'est pas insensible au caractère de ces îles – dont l'existence est maintenant dûment prouvée –, sera plutôt enclin à penser que leur appellation tire en partie son origine de cet air de solitude magique qui investit si puissamment les lieux. Nul endroit au monde, en effet, n'évoque mieux les choses de la vie malignement ramenées de l'incarnat à la cendre : des pommes de Sodome [1], apràs la flétrissure du toucher, c'est ainsi qu'apparaissent ces îles.
Aussi mouvant que puisse sembler leur emplacement sous l'effet des courants, il n'en reste pas moins qu'aux yeux d'un observateur posté sur le rivage, elles ont l'air invariablement égales à elles-mêmes : figées, coulées, engluées dans le corps même de la mort cadavérique.
Herman Melville, Les Îles enchantées in Bartleby, Les Îles enchantées, Le Campanile, trad. Michèle Causse, Paris, Flammarion, 2012, p. 69-70.
[1] Pommes de Sodome : selon Flavius Josèphe, elles se transforment au toucher en fumée et en cendre.