Au sud de l'Europe, dans le voisinage d'une capitale naguère peinte à fresques, maintenant rongée en sa fleur par l'humide moisissure, se dresse au centre d'une plaine un monument que l'on pourrait prendre, à distance, pour la noire souche moussue de quelque pin démesuré, tombé, en des jours oubliés, avec Anak [1] et le Titan.
De même que, là ou tombe le pin, il laisse en se dissolvant un tertre de mousse – dernière ombre portée du tronc écroulé, qui jamais ne croît, jamais ne décroît, jamais ne varie sous les trompeuses fluctuations du soleil, ombre immuable et véritable jauge issue de la prostration –, de même à l'ouest du monument semblable à une souche, la lance rigide d'une ruine enlichenée veine la plaine.
Du haut de cette cime, quels carillons ailés de gorges argentines ne se sont égrenés ? Pin rocheux, couronné d'une volière métallique : tel est le Campanile érigé par le grand inventeur-mécanicien, l'enfant trouvé maudit, Bannadonna.
Herman Melville, Le Campanile in Bartleby, Les Îles enchantées, Le Campanile, trad. Michèle Causse, Paris, Flammarion, 2012, p. 141-142.
[1] "Et alors nous y avons vu les néphilim, les fils d'Anaq » (Nombres, XIII, 33). Rapport des espions envoyés en reconnaissance sur la terre de Canaan par Moïse.