Beaucoup de femmes m'écrivent qu'elles voudraient guérir la solitude de Wallander. Je réponds rarement à ces lettres-là. Je ne crois d'ailleurs pas qu'elles attendent de réponse. Les gens sont raisonnables, malgré tout. Si grand qu'en soit notre désir, on ne peut pas vivre avec un personnage littéraire. On peut l'avoir pour ami — un ami imaginaire, qu'on sort quand on en a besoin. La mission de l'art est entre autres de nous procurer des compagnons. J'ai vu des personnages, sur des tableaux, que j'espère encore rencontrer un jour. Les livres et les films sont remplis d'individus si familiers pour nous que nous nous attendons à les voir surgir au coin d'un rue. Wallander est de ceux-là. Il se cache au coin de la rue. Mais il ne se montre jamais. Du moins pas à moi.

Henning Mankell, Une main encombrante [2004-2013], trad. Anna Gibson, Paris, Points Seuil, 2014, p. 154.