Plus les dispositifs se font envahissants et disséminent leur pouvoir dans chaque secteur de notre vie, plus le gouvernement se trouve face à un élément insaisissable qui semble d'autant plus se soustraire &grave sa prise qu'il s'y soumet avec docilité. Cela ne signifie pas que ce dernier représente en soi un élément révolutionnaire, ni qu'il puisse arrêter ou même seulement menacer la machine gouvernementale. Au lieu de cette fin de l'histoire qu'on ne cesse d'annoncer, on assiste bien plutôt à de grands tours pour rien de la machine gouvernementale qui, dans une espèce d'invraisemblable parodie de l'oikonomia théologique, a pris sur soi l'héritage d'un gouvernement providentiel du monde. Mais, au lieu de le sauver, elle reste fidèle à la vocation eschatologique originaire de la providence et le conduit à la catastrophe.
Le problème de la profanation des dispositifs (c'est-à-dire de la restitution à l'usage commun de ce qui a été saisi et séparé en eux) n'en est que plus urgent. Ce problème ne sera jamais posé correctement tant que ceux qui s'en empareront ne seront pas capables d'intervenir aussi bien sur le processus de subjectivation que sur les dispositifs pour amener à la lumière cet Ingouvernable qui est tout à la fois le point d'origine et le point de fuite de toute politique.

Giorgio Agamben, Qu'est-ce qu'un dispositif ? [2006], trad. Martin Rueff, Rivages poche Petite Bibliothèque, 2007, p. 49-50.