Saint Victorien, vingt-troisième jour de mars.

Le rêve commence, j'attendrai, je recevrai. Plus de vingt années de visions fugitives, bien rangées dans ma mémoire, sont là, je les sens comme une monture vibrante sous moi, impatientes et multiples.
Si, bien souvent, il est permis de s'étonner de la lenteur d'un projet, quelquefois aussi une tâche considérable sera rapidement conçue. Le plus long, en ce qui me concerne, est l'attente, ensuite tout mon temps de réflexion. Ces délais passés, le parti de l'œuvre arrêté, l'étape définitive peut-être réglée en quelques jours. Pourquoi ? Cette question met en cause tout ce qui, dans la création, fait partie de l'accumulation des connaissances. Tout artiste agissant a, dans sa mine de plomb, son pinceau, son burin, non seulement ce qui rattache son geste à son esprit, mais à sa mémoire. Le mouvement qui paraît spontané est vieux de dix ans ! de trente ans ! Dans l'art, tout est connaissance, labeur, patience, et ce qui peut surgir en un instant a mis des années à cheminer.

Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, Paris, Éditions du Seuil, 1964, p. 21-22.