La vie d'un architecte, c'est d'être sur le chantier, c'est même d'être en rapport direct avec les ouvriers, c'est même d'être soi-même entrepreneur, c'est ça la vraie vie d'un architecte. Hélas, on a encore divisé le métier en deux entre la conception et la technique, et encore en deux entre l'exécution et la conception et on est arrivé à une chose fantastique : ceux qui conçoivent ne connaissent pas ceux qui exécutent. On m'a annoncé : "Nous sommes sept cents et nous faisons tous les plans et ensuite nous passons ça à l'exécution où ils sont sept ou huit cents aussi qui font l'exécution." C'est une folie !
Si je fais une villa pour un ami et que je ne surveille pas les travaux, cette villa sera monstrueuse parce que, quelle que soit la précision des plans, il y a une part très grande de ce qui se passe entre le moment où on l'a dessiné et le moment où on le réalise. On caresse le bâtiment en faisant le chantier, c'est une caresse et on résout des problèmes que bien souvent on ne peut pas résoudre sur des dessins techniques, surtout en Algérie où nous n'avons pas des gens très précis et j'en suis heureux parce que je préfère avoir des gens qui vivent le chantier avec moi, qui apportent leur contribution.
La mort de l'architecture, c'est le maître d'œuvre qui livre ses plans exécutés par des manœuvres, par des gens qui ne pensent plus ; c'est fini. Le chantier, c'est le moyen de faire penser tout le monde ensemble, c'est le moyen de faire participer tout le monde à la valeur du bâtiment. Vous m'avez vu sur un chantier, vous avez vu l'affection des hommes qui m'entourent, vous avez assisté à des crises de colère, à des moments d'humeur, mais tout cela fait partie d'un chantier. Aujourd'hui, un de mes collaborateurs m'a dit : "Il faut que vous parliez à Belkacem parce qu'il a besoin d'avoir le moral relevé." Eh bien, je suis très content d'être là sur le chantier pour aider Belkacem.
Fernand Pouillon, "Fernand Pouillon ou le génie de la construction", Archiettura nei paesi islamici, Attilio Petruccioli, Seconda Mostra internazionale di architectura. Edizione La Biennale di Venezi, 1982, in Fernand Pouillon, Mon Ambition, Saint-André de Roquerpertuis, éditions du Linteau, 2011, p. 120-121.