Il est un esprit de petitesses (esprit de bagatelles[1]), qui manifeste une sorte de sentiment délicat, mais directement opposé au sublime. C'est le goût des choses qui supposent beaucoup d'art et de peine : des vers qu'on peut lire à rebours, des devinettes, des montres en bagues, des chaînes à puces etc. C'est le goût de tout ce qui est apprêté et arrangé avec minutie, sans aucun souci d'utilité. J'en prendrai pour exemple des livres joliment alignés sur les tablettes d'une bibliothèque, dont se réjouit une tête vide à simplement les regarder, des appartements astiqués, entretenus comme des cabinets d'optique, mais habités par un maître bougon et inhospitalier. C'est, enfin, le goût de tout ce qui est rare, si médiocre qu'en soit la valeur intrinsèque (la lampe d'Épictète, un gant du roi Charles XII et, dans une certaines mesures, les monnaies). On peut suspecter ceux qui partagent ce goût d'être vétilleux et songe-creux dans les sciences, insensibles dans les mœurs à tout ce qui est naturellement beau et noble.

Emmanuel Kant, Observations sur le sentiment du beau et du sublime [1992], Bibliothèque des textes philosophiques, Librairie Philosophique J.VRIN, 2008, p.41-42.

[1] En français dans le texte.