Le sentiment du sublime, tantôt s'accompagne de tristesse ou d'effroi, tantôt de tranquille admiration, et tantôt s'allie au sentiment d'une auguste beauté. J'appellerai sublime-terrible la première sorte de sublime, sublime-noble la deuxième, sublime-magnifique la troisième. Une profonde solitude est sublime, mais elle inspire l'effroi. C'est pourquoi d'immenses et affreux déserts, comme celui de Chamo en Tartarie, furent de tout temps peuplés dans les imaginations d'ombres terribles, de kobolds et de fantômes.
Le sublime est toujours grand, le beau peut aussi être petit. Le sublime requiert la simplicité, le beau supporte l'ornement. Un sommet n'est pas moins sublime qu'un abîme ; mais celui-là suscite l'admiration, c'est le sublime-noble, et celui-ci, le sublime-terrible, l'effroi.
(…)
Une longue durée est sublime. Appartient-elle au passé, elle est noble. La situe-t-on dans un futur défini, elle effraye quelque peu. Un monument datant de la plus haute antiquité commande le respect. Haller inspire un doux effroi lorsqu'il représente l'éternité future, une admiration fixe lorsqu'il décrit l'éternité passée.

Emmanuel Kant, Observations sur le sentiment du beau et du sublime [1992], Bibliothèque des textes philosophiques, Librairie Philosophique J.VRIN, 2008, p.20-21.