Ce que je nomme pour moi anthropologie, ce programme de recherche, cette ligne de conduite, conçoit le langage comme un abus permanent produit par et pour la communication. L'anthropologie déjoue les pièges du langage. Elle cherche à tailler des brèches dans sa muraille. Elle suggère une alternative au contentement que procurent les formes diversement revêtues par la rhétorique de l'évidence, celle-ci étant élevée au rang d'hygiène de vie et de mode d'emploi. L'anthropologie défendue ici, comme elle tâche d'envisager ce qui se perd dans la nécessité de l'échange, refuse méthodologiquement la communication humaine. Elle s'attache à ramener &grave la surface de la conscience certains aléas et certaines données biographiques, pour tout dire un contexte. Si cette démarche ne peut atteindre ce but, au moins qu'elle en donne le goût, voir le modèle avant que l'abus ne se produise, cela afin qu'il soit reconnu comme frustration et, à ce titre, amorce un programme de recherches plus exigeant. Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'y voir une sorte de justice linguistique, déterminant ce qu'il est bon de dire ou de ne pas dire, mais une discipline de vie, une façon d'avancer en sceptique dans le monde ordinaire.
Éric Chauvier, Anthropologie, Paris, Allia, 2006, p. 132-133.