Il débarque dans un café installé au rez-de-chaussée d'un petit immeuble vieillot, à deux pas de la cité de la Calade, en face d'un terrain vague où des gamins jouent avec enthousiasme au foot et à la guerre. Une terrasse en béton protégée par un grand store, déserte, trop chaude. Il pénètre à l'intérieur. Un grand espace tout en longueur. Près de la porte d'entrée, quatre tables, quelques consommateurs, beaucoup de lumière et de chaleur, un petit bar bien achalandé sur le mur de gauche, puis dans la deuxième partie de la pièce, plus sombre, plus fraîche, une quinzaine de tables occupées par des groupes d'hommes, des joueurs de dominos, de cartes, quelques échiquiers. Un café populaire maghrébin. Je fais tache.
Le patron, qui circule entre les tables, remplit un verre, enlève une tasse, l'œil à tout, vient vers lui, souriant. Platel commande un café est s'assied à une table libre près de l'entrée, à l'écart des joueurs. Il sort de sa poche Le Quotidien de Marseille, qu'il entreprend de lire ligne à ligne, tout en consultant de temps en temps sa montre. Assis pas loin de lui, tout seul à sa table, une jeune feuillette un paquet de quelques fiches griffonnées à la main, ajoute un mot, un signe ici ou là, reforme le paquet, recommence. Platel est trop éloigné pour déchiffrer ne serait-ce qu'un mot. Trois femmes entrent dans le café en papotant. L'une d'elles frôle l'épaule du jeune homme solitaire d'une longue caresse.
- Adel, mon beau, toujours au travail. On t'aime, on est avec toi. Comment va ton frère ?
Adel a un geste en direction des tables des joueurs.
- Ses amis l'aident à vivre. C'est dur pour lui.
- Et toi ? Tu avances ?
- Oui, c'est un début, il faut que beaucoup de gens viennent me voir. Dites-le autour de vous.
- Continue. C'est bien ce que tu fais.
La femme rejoint ses amies au bar, elles boivent un jus et s'en vont. Un nouvel arrivant vient s'asseoir à la table du jeune homme, ils se saluent, puis la conversation s'engage à mi-voix, dans un mélange de langue arabe et d'expressions françaises. Le jeune homme pose des questions, beaucoup de questions, prend des notes sur une fiche. Platel, très attentif, peine à suivre, puis saisit quelques mots en français. Ami 6, Mercedes, Citroën. Au bout d'un gros quart d'heure, les deux hommes se saluent, le jeune reste assis à sa table, lit et relit la fiche qu'il vient de remplir, la classe dans son paquet et ajoute quelques lignes sur une autre fiche pendant que son interlocuteur rejoint les joueurs, dans l'autre partie de la salle. Des gosses font irruption dans le café en criant, le patron les fait taire, il ne faut pas déranger les joueurs, et sert à boire à toute la troupe, qui repart en courant. Platel estime qu'il est temps de s'en aller. Il va au bar, paie son café.
Dominique Manotti, Marseille 73, Equinox Les Arênes, 2020, p. 173-175.