Les grandes expositions enseignent au public que l'art est ailleurs, qu'il ne se trouve ni dans leurs maisons, ni sur les lieux de travail, ni dans les espaces publics, que l'art est "autre", comme le dit Ortega y Gasset. (…) Voici ce que dit Ortega y Gasset : (…) "Mais ce n'est pas là l'aspect le plus dangereux de l'aberration intellectuelle qui implique cette bigoterie de la culture ; il réside dans le fait qu'on présente la culture, le retrait en soi et dans la pensée, comme une grâce, un joyau supplémentaire que l'homme se doit d'ajouter à son existence, donc comme quelque chose de conditionnellement extérieur à sa vie, comme si la vie pouvait exister hors de la culture et de la pensée, comme s'il était possible de vivre sans jamais se retirer en soi. Les hommes seraient en quelque sorte placés devant la vitrine d'un bijoutier, et on leur donnerait le choix entre acquérir une certaine culture ou s'en passer. Il est évident que face à ce dilemme en ce temps où nous vivons, les hommes n'ont pas hésité, ils se sont décidés à explorer jusqu'au bout le second de ces choix, en fuyant toute abstraction et en s'abandonnant totalement à cette complète altération".
Donald Judd, Ausstellungsleitungstreit, 1989, in Écrits 1963-1990, trad. Annie Perez, Paris, Daniel Lelong éditeur, 1991, p. 214-215.