La préhistoire est en effet la seule science historique qui doive détruire la plus grande partie de ses documents à mesure qu'elle les met au jour et qu'elle les étudie. Cette caractéristique oriente toute l'activité du chercheur : celui-ci doit être formé, informé, outillé de façon optimale, afin de pouvoir rentabiliser au mieux son activité destructrice. Il lui faut protéger le site du pillage et en garder un "témoin" intact pour les archéologues du futur. Il doit aussi conserver le plus longtemps possible, dans son intégrité, cet objet éphémère qu'est le sol dégagé — ou tout au moins un souvenir précis de sa structure — et user pour cela de tous les moyens d'enregistrement, des plus traditionnels aux plus sophistiqués : relevés topographiques, voire microtopographiques, moulages aux sols, croquis, plans, photographies prises sous différents angles, films rendant compte des phases du dégagement[1].
La masse des informations ainsi recueillies permet l'étude des rapports qu'entretiennent entre eux les différents éléments : la technique du "remontage" d'éléments osseux ou des différentes pièces d'un mème nucleus, associée à l'étude de leur répartition sur le site, permet de déterminer les itinéraires, les allées et venues dans et hors les limites de l'habitation — ou les relations qu'entretenaient entre eux les différents groupes vivant sur un même territoire. Cette méthode retrouve donc, entre les vestiges, les structures dont les Hommes paléolithiques étaient inconsciemment, les créateurs.
Claudine Cohen, La méthode de Zadig, La trace, le fossile, la preuve, Paris, éditions du Seuil, 2011, p. 245.
[1] "Cinéma et sciences humaines. Le film ethnographique existe-t-il ?", in Ibid., p. 102-109.