L'étude des peintures et gravures des grottes ornées ou de sites de plein air est longtemps restée d'autant plus frustrante et difficile que leur datation était le plus souvent incertaine. Le problème de leur authenticité s'était posé dès les premières découvertes : on sait que le plafond d'Altamira fut plusieurs décennies durant considéré comme un faux, réalisé par un peintre proche du comte de Sautuola qui en rendit compte le premier[1]. Aux yeux des savants du XIXe siècle, la nature même de cet art, la beauté et le réalisme de ses bisons, de ses chevaux et de ses taureaux polychromes, et l'impression de vie et de composition qui s'en dégage, ne pouvaient être l'œuvre de "primitifs". De nouvelles preuves éralogiques (grottes similaires fermées et restées inaccessibles depuis le Paléolithique, figures recouvertes de Calcite) finirent, en 1902, par convaincre de l'ancienneté de ces fresques et de leur authenticité[2]. Les preuves archéologiques purent aussi contribuer à la datation de l'art pariétal : la découverte au sol de niveaux d'archéologies contenant vestiges osseux, outils, pigments, foyers, débris stalagmitiques, apporte de précieux éléments pour dater les parois ornées.

Cependant, tout au long du XXe siècle, la datation de l'art repose avant tout sur des critères de style. Ainsi l'abbé Breuil juge de l'ancienneté de certaines figures par leur "primitivité", tandis que certaines techniques de représentation comme la "perspective tordue" révèlent à ses yeux une élaboration plus récente. La superposition des figures traduit leur succession temporelle. Cependant, cet ensemble de critères reste sujet à controverse et entaché de préjugés : pourquoi les formes les plus dépouillées seraient-elles les plus primitives ? D'autre part, ne peut-on concevoir la superposition comme une composition, un choix de l'artiste, plutôt que comme simple recouvrement ou effacement d'une œuvre antérieure[3] ?

Claudine Cohen, La méthode de Zadig, La trace, le fossile, la preuve, Paris, éditions du Seuil, 2011, p. 220-221.

[1] M. Sanz de Sautuola, Breves apuntes sobre algunos objetos préhist&ocute;ricos de la provincia de Santander, Madrid, 1880 ; voir L.G. Freeman et J. Gonzalez Echegaray, La Grotte d'Altamira, Paris, La Maison des Roches, 2003.

[2] Cet épisode de la reconnaissance tardive de l'art pariétal a été maintes fois raconté. Voir par exemple N. Richard, L'Invention de la préhistoire, Paris, Pocket, 1991.

[3] Pour une réflexion critique sur la notion de composition dans l'art paléolithique, voir Max Raphael, "La composition de la bataille magique d'Altamira", [1945], tr. Fr. in Trois essais sur la signification et l'art pariétal paléolithique, Paris, Kronos, 1986.