L'esthétique défendue par le Bauhaus résulte d'une collaboration entre l'industrie et l'art qui ne se conçoit que dans une conception idéalement démocratique. Espoir d'un accès au confort standardisé et technologique accessible à tous, le Bauhaus croit au pouvoir unificateur de réalisations destinées à l'amélioration progressiste du monde. Entre utopie et pragmatisme, le design moderne s'installe ainsi durablement. Investis d'une mission, les designers du Bauhaus souhaitent que leur travail pénètre la vie dans ses moindres recoins et ils désirent se faire l'instrument de la réforme sociale. Leur incombe désormais de changer le réel : "Pour nous, le germe fécond du Bauhaus puise son énergie dans la pensée utopique qui le soutient, dans la tension permanente qui s'établit entre elle et sa confrontation aux différents aspects de la réalité[1]", soutient Gropius. L'influence du Bauhaus, et sa légende savamment orchestrée par Gropius, une fois émigré aux États-Unis, insiste sur la seule perspective fonctionnaliste du Bauhaus et offre à son directeur l'opportunité de faire valoir sa vision de la modernité, illustrée par les trois principes récurrents de l'école : Skill of hand (l'habileté manuelle) ; Mastery of Form (la maîtrise de la forme) et Mastery of Space (la maîtrise de l'espace), des principes explicites de la synthèse des arts prônée par les enseignants.
Comme pour tous les acteurs de la modernité, la tâche que l'école se destinait à accomplir était immense et donc risquée, mais elle apparaissait indiscutable à ses défenseurs, car elle seule proposait alors d'accompagner l'émergence des conditions d'émancipation nécessaires à l'établissement de la nouvelle société démocratique tant espérée.
Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 94-95.
[1] Lettre de Walter Gropius au Dr Edwin Redslob, daté du 13 janvier 1920, Archives d'État, Weimar, cité dans Jacques Aron, Anthologie du Bauhaus, Didier Devillez, Paris, 1995, p. 44.