Si chacun réinterprète évidemment à sa manière les diverses propositions de Morris, prédomine une notion qui confère au design une dimension utopique. Cette idée-force tient en partie à la nature de l'"invention" du design par Morris qui, sous un nouveau jour, a mis en œuvre la production de biens matériels, domaine à partir duquel les rapports entre individus pourraient être repensés. Poussé par des motifs variés que nous avons déjà examinés, et en renversant l'axiologie entre art mineur et art majeur, le design s'énonce comme la discipline démocratique des temps modernes. Pour poser la question de la nécessité révolutionnaire du design, Morris l'ancre dans la notion existentielle de la production d'objets. Et de la même manière que l'île de l'Utopie de More est délimités topographiquement — "qui en sa partie moyenne, et c'est là qu'elle était le plus large, s'étendit sur deux cents milles, puis se rétrécissait progressivement" — à son tour le design est déterminé comme le territoire, par excellence, d'expérimentation et de matérialisation d'une pensée qui se trouve être toujours en prise avec les successives révolutions industrielles. Toutefois et comme nous l'avons vu précédemment, la dimension utopique de la proposition de Morris aspire à créer une meilleure société à partir de la production matérielle d'objets. Dans les années qui suivent la disparition de Morris en 1896, la propagation de ses théories font se confondre le design et l'utopie.

Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 63-64.